AA - Optimus Prime

L’autre jour au cours d’un cours, une élève m’avait demandé ce que voulait dire « être planté ». Sur le coup, je n’avais pas compris le pourquoi de cette question, mais je lui avais répondu en lui expliquant que parfois, un cheval subit un traumatisme face à un obstacle par exemple, et par la suite il a tellement peur qu’il n’arrivera peut être plus jamais à sauter. La petite avait eu l’air triste, et je lui en avais donc demandé plus, et c’est là qu’elle m’avait parlé d’Optimus Prime. Si son nom m’avait d’abord faite sourire, elle m’avait ensuite expliqué qu’il était très gentil mais que ses parents ne voulaient pas le lui acheter car il était planté. Ainsi elle ne pourrait pas aller en compétition avec lui comme elle l’espérait tant, et elle en était triste car elle avait vraiment beaucoup apprécié ce cheval lors de leur rencontre. Je lui avais donc promis de voir ce que je pourrais faire, et c’était ainsi que je m’étais retrouvée à regarder un bel Anglo Arabe, au refuge ce matin.

Comme me l’avait décrit la petite, il avait l’air tout juste adorable. Lorsque j’étais arrivée devant sa stabulation il avait relevé la tête, les oreilles droites, presque un regard interrogateur brillant dans ses yeux. Il aurait pu faire craquer n’importe qui, et je comprenais facilement pourquoi mon élève s’y intéressait tant. « Salut Optimus. » Je dis doucement, et il approcha lentement, comme s’il hésitait. « Ne t’en fais pas. Aujourd’hui je suis là pour pouvoir faire connaissance avec toi, uniquement. Tu veux bien ? » A mesure que mes paroles s’enchaînaient, je pouvais voir ses oreilles remuer, prouvant qu’il tentait d’être attentif. « Tu sais ce que je pense ? » Il fit de nouveau un pas vers moi, et je ne bougeais pas de là où j’étais, accoudée à la barrière qui servait de porte. « Je pense que le saut, est la plus gratifiante des disciplines, à condition que le cheval aime autant ça que son cavalier. » Je le laissais humer tranquillement ma main, avant de commencer à effleurer délicatement sa joue, pour ne pas le brusquer. « Je suis sûre que tu étais un grand champion fut un temps. Et tu sais ce que ça veut dire ? » Je laissais un instant planer le suspens, histoire de voir si j’avais toute son attention : « Ca veut dire que si tu le souhaites, qu’un jour tu as envie d’y retourner, tu as encore toutes les capacités pour l’être. Il faudrait que je te présente une de mes élèves, je suis sûre que tu l’adorerais. » Je dis avec un petit sourire.

Je finis par entrer dans son box, et je continuais de le papouiller progressivement. La tête, puis l’encolure, le dos, les flancs, les jambes, la croupe, tout y passa. Ce fut ainsi l’occasion pour moi de remarquer que oui, il avait encore de beaux restes, et qu’il n’était jamais trop tard pour se ressaisir et revenir sur les terrains de concours. « Je ne sais pas dans quelle classe tu courrais, mais il faut que tu y retournes Optimus … » Je dis, doucement. « Tu mérites ces prix, je le sais. Tu mérites que le public connaisse ton nom. Tu mérites de surmonter cette peur. Je sais que tu peux y arriver. » Je caressais tendrement son encolure, comme pour l’apaiser au cas où mes paroles auraient pu l’effrayer. Bien entendu il y avait peu de chance pour qu’il en saisisse la signification, mais sait-on jamais. « Tu sais ce qu’on va faire ? Je vais te laisser la journée pour y réfléchir et ce soir, je te présente mon acolyte. Tu vas l’adorer c’est promis ! »

Mais pour l’heure, je ne pouvais pas le laisser sur sa faim de la sorte. Alors j’avais sortis tout mon matériel de pansage, et avais commencé par le brosser grossièrement, lui retirant toute la terre collée dans l’épaisseur qui lui restait de son poil d’hiver. Cela fait, c’était déjà beaucoup mieux et pourtant bien loin d’être fini. Alors j’avais continué en passant un bon coup de bouchon sur tout son corps (quel gâchis, c’est moi qui vous le dis, il me faisait tellement penser à Alpha …), et j’avais fini par un coup de brosse douce. Ses sabots avaient ensuite été correctement nettoyés, et j’avais remarqué qu’il avait d’ailleurs bien plus de difficultés pour cette partie du pansage. Une fois qu’il ne me restait plus que ses crins à démêler, je lui dis : « Tu sais, tu n’as pas à t’en faire. Je ne te fais pas subir ça histoire d’ensuite t’emmener courir … » Je commençais par sa crinière, et ce ne fut pas une mince affaire. Heureusement qu’il y était habitué et pourtant, à chaque nouveau nœud j’avais l’impression de le voir sursauter, comme s’il revivait ses préparations avant les concours, et je me mordillais la lèvre, soucieuse de lui faire revivre des moments qu’il préférerait oublier. Je suis cependant certaine qu’il ne peut y avoir que du négatif dans l’histoire, c’est impossible … « Je te promets que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que tu n’aies plus peur. Et si une fois cette étape surmontée tu n’as juste plus envie de sauter, on avisera. Mais d’ici là, il faudra qu’on se fasse confiance. » Je lui tendis un bonbon à la framboise, les préférés de Wild, puis sortis de sa stabulation. « Sois sage Optimus. »

Echanger son numéro avec ses élèves avait des avantages. Cela nous servait de communiquer en cas d’absence, mais en plus de ça, s’ils avaient des questions j’étais ravie de pouvoir les aider en y répondant. Finalement, hier soir cela m’avait servis afin de pouvoir proposer à Angela de me rejoindre au refuge, pour que l’on s’occupe du beau Optimus, qui en avait bien besoin. Elle avait eu l’air ravie, et cela m’avait faite sourire. Elle avait vraiment bon cœur, et il serait plus que dommage que ses parents l’empêchent d’avoir ce cheval simplement à cause de son traumatisme. Alors, en l’attendant j’étais allée préparer le rond de longe. J’avais pris soin d’éradiquer toutes les barres d’obstacle de l’enceinte, afin de ne pas affoler l’Anglo Arabe, puis j’avais rejoint le refuge, où j’avais déjà pu apercevoir la petite tête blonde de mon élève préférée. Ce n’était pas bien difficile cela dit.

« - Il est magnifique, n’est-ce pas ? Elle me demanda, totalement époustouflée par la beauté de Prime.
- Il a un certain charme. J’avais répondu en hochant la tête. Nous allons tout faire pour l’aider. Je te le promets.
- Je ne veux pas que les gens pensent qu’il est handicapé, ou qu’il a moins de potentiel qu’un autre cheval … Elle dit, caressant tendrement la joue de l’alezan qui appréciait visiblement les caresses à leur juste valeur.
- Et nous leur prouverons le contraire. Si tu commençais par le brosser ? »

Ce qu’elle ne savait pas bien entendu, c’était que j’avais déjà pris Prime en famille d’accueil, prenant en charge tous ses frais médicaux, et m’assurant ainsi d’être la première informée au cas où quelqu’un déciderait que ce cheval était à son goût. Si j’avais personnellement mon mot à dire, Angela avait toutes les capacités pour un équidé de ce genre, et je décidais de la laisser faire les choses à sa manière. Elle avait commencé par lui passer un licol, et avais déposé la longe de l’encolure de l’alezan, décidant probablement de voir par la suite si elle aurait besoin de se montrer plus restreignante en l’attachant par exemple à la barrière de la stabulation pour qu’il ne puisse pas bouger dans tous les sens. J’avais cependant rencontré l’Anglo le matin même et savais donc que ce ne serait pas nécessaire. Je la laissais cependant faire, souriant tandis qu’elle prenait soin de le rassurer, ou de lui laisser le temps de se calmer dès que cela était nécessaire. C’était une élève déjà brillante pour son âge, et je savais qu’elle aurait les moyens de tout accomplir, une fois qu’elle aurait décidé de son orientation. Ses coups de brosse étaient minutieux, et efficaces. Elle surveillait les réactions de Prime, ce qui était plus sûr quand on ne connaît pas un équidé mieux vaut se montrer prudent ! Finalement, l’alezan semblait se détendre sans trop de difficultés entre les mains de la jeune fille. Ce n’était pas très compliqué, je n’avais pas encore vu un cheval lui résister. Même le passage du cure pied ne lui posa pas de problème, et tandis qu’elle terminait le pansage j’étais allée lui chercher un filet. En revenant, je la découvris en train de papouiller Prime. Comme c’était étonnant …

« Tu te souviens comment on longe un cheval je pense ? » Je lui demandais, quand elle m’adressa un regard interrogatif, concernant le filet. Elle hocha la tête, pinçant les lèvres, comme si elle était dubitative. « Tout va bien se passer. Je suis là, il ne peut rien t’arriver. D’accord ? Je ne te l’aurais pas proposé si je ne t’en pensais pas capable. » Je lui dis, pour la remotiver. Cette fois, elle hocha la tête, bien plus décidée, et enfila le filet à Optimus, qui se laissa faire bien qu’il semblait un peu plus nerveux que précédemment. Cela n’était d’ailleurs pas difficile à comprendre. Il devait sûrement penser que nous allions l’emmener sauter hors, je n’étais pas suicidaire. Pas encore. Le saut, ça n’était pas pour maintenant, largement pas. Par contre, en le pansant j’avais remarqué les restes de muscles parfaitement bien placés, et il était hors de question que je les laisse se perdre. Une remise en route tout en douceur en somme ! « Prête ? » Je demandais à Angela, et elle plongea son regard dans celui de Prime. Elle caressa son encolure, et sans répondre, ouvrit la porte de la stabulation, les rênes passées par-dessus l’encolure de l’alezan. Je la sentais déterminée, et c’était le plus important.

« - Alors, je vais rester en dehors du rond de longe. Il n’a peur que des barres d’obstacles alors a priori tout devrait bien se passer. Mais je reste là. Je ne vous laisse pas. Tu peux être sûre qu’à l’instant où tu auras besoin de moi, je serai là. » Je dis, en passant la longe dans le filet de Prime.
-  T’en fais pas Riley, ça va aller. J’ai connu pire, non ? Elle me répondit, souriant. Non, elle n’avait jamais connu de cheval traumatisé, alors elle n’avait jamais connu pire.  On peut y arriver. Pas vrai Optimus ? l’Anglo Arabe ronflait, inquiet, mais il était calme, et c’était ce sur quoi je décidais de m’attarder en sortant du rond de longe. »

Dès lors, je fus très attentive à chaque mouvement que décrivait l’étalon. Angela commença par le mettre sur un cercle à main droite, et le mit sur le cercle le plus large du rond de longe, lui permettant de marcher d’abord à son rythme, lui permettant de se détendre, de souffler, de faire connaissance avec l’enceinte dans laquelle ils se trouvaient. Je la voyais se concentrer sur chacun de ses propres mouvements, voulant bien faire. Elle était le genre d’élève que n’importe quel moniteur aurait adoré avoir, et c’était en partie pourquoi elle était ma préférée. Pas juste parce que je me reconnaissais en elle à son âge… Finalement, quand elle sentit qu’Optimus était prêt, elle donna un claquement de langue, pour lui faire adopter un pas plus actif. Réveillé, l’Alezan avait obtempéré sans problème, nous montrant bien ce que nous savions déjà, à savoir qu’à partir du moment où il ne s’agissait pas de saut, travailler ne lui posait aucun problème. Bien, nous commencerions donc ainsi.

Elle le changea de main quand son incurvation, ses allongements et ses transitions hors et dans l’allure furent corrects à main gauche, et recommença donc le même exercice à main droite. Elle avait cependant commencé directement par le faire marcher d’un pas actif, puisqu’il connaissait déjà l’exercice qu’ils étaient en train d’exécuter. Il semblait cependant nerveux, et quand il tourna la tête vers l’extérieur du rond de longe, Angela donna un claquement pour récupérer son attention, ce qui fonctionna plutôt bien, puisqu’après avoir soufflé un coup, Optimus avait récupéré une attitude concentrée. Elle avait donc continué ses transitions dans l’allure, et après un arrêt, elle le repassa au pas sans le laisser s’installer dans cette allure puisque directement elle lui fit prendre le trot. Il secoua la tête de haut en bas de temps en temps, avant de finalement adopter un trot de travail, très rapide vu le modèle qu’il était. Et encore, il n’allongeait même pas… Je vis d’ailleurs qu’elle avait le même sourire que moi sur les lèvres. Comment rester insensible vu ce que ce cheval était en train de lui offrir ?

Après avoir réussi à réguler son allure à sa guise à main droite, elle l’avait repassé à main gauche, et avait demandé un départ au trot de l’arrêt. Il passa par une foulée au pas, et elle l’avait donc de nouveau arrêté, ne cédant pas. Je n’aurais pas mieux fait, et même si Prime avait d’abord secoué la tête, il avait fini par bondir dans le trot, de l’arrêt, comme demandé. La queue en panache, il trottait fièrement, mais Angela ne s’en suffit pas, et lui demanda de ralentir le trot, tout en lui demandant une allure calme, décontractée, pour lui permettre de baisser la tête et de se placer correctement. Il n’avait probablement pas eu l’habitude de beaucoup travailler en longe, mais il se montrait plutôt réceptif aux demandes de la jeune, et c’était très beau à regarder. Elle réussit ensuite à lui faire allonger et comment dire. On avait l’impression qu’il ne faisait qu’effleurer le sol du bout des sabots, et qu’il volait presque, à la vitesse du vent. Un instant, Angela avait été soufflée par ces foulées, et c’était compréhensible, mais du coup l’étalon en avait profité pour retomber dans le pas avant de s’arrêter face à elle. Immédiatement elle s’était ressaisie et lui avait redemandé le trot avant de lui demander de prendre le galop. Il avait adopté un petit galop léger, mais équilibré. Elle n’était cependant pas convaincue, et semblait avoir remarqué qu’il en avait bien plus à donner que juste un petit galop tranquille. D’un claquement de langue elle le mit dans un galop de travail avec des foulées bien plus amples. Elle sourit, hochant la tête, quand l’étalon donna ce qu’elle avait demandé.

Elle ne lui en avait pourtant pas demandé beaucoup plus puisqu’une fois ceci obtenu à main gauche, elle avait fait un changement de main, et avait demandé un passage au galop du pas, remarquant au même moment que moi que même s’il avait des excellentes foulées, Prime avait parfois des soucis  à réaliser ce genre de transition. Elle finit cependant par obtenir ce qu’elle souhaitait, et à l’inverse de tout à l’heure, il avait adopté cette fois un galop tellement rapide qu’elle avait été surprise l’espace d’un instant. Cela m’avait suffit à me préparer à enjamber la barrière. Mais elle le fit ralentir, et il souffla longuement, avant de récupérer un galop de travail stable, et beaucoup plus correct. Elle le laissa se stabiliser dans l’allure, et quand elle jugea qu’il en avait assez donné, elle le fit ralentir au trot, puis au pas.

« - Alors ? Qu’est-ce que tu en penses ? Elle m’avait demandé quand je l’avais rejointe, avec un simple licol pour qu’elle puisse lui retirer son filet.
- Et toi ? J’avais souri, voulant d’abord récolter son impression.
- Il est … Je n’ai jamais eu à travailler de cheval comme lui. Elle pinça les lèvres, tandis que je récupérais le filet pour la débarrasser. Mais il est tellement… Tu as vu ces foulées ???
Je ris : - Oui, j’ai vu. C’est vrai qu’il en a dans le ventre le petit. Et tu vois, c’est précisément pour ça qu’il ne faut pas que tu laisses qui que ce soit te dire quoi faire, ou de l’abandonner, si tu n’en as pas décidé ainsi. »

Elle hocha la tête solennellement, et nous emmenions Optimus brouter tranquillement. Je lui tins la longe tandis qu’elle en avait profité pour le panser. Il avait vraiment bien bossé ce soir, et cela laissais présager de très bons résultats pour la suite des évènements.

« - Un jour il ressautera. Je dis, confiante.
- Tu en es sûre ?
- Eh bien disons que si Wild Fire est capable de dresser, retourner sur des barres sera un jeu d’enfant pour Prime. Avec le temps. Elle avait ri doucement en m’entendant parler de mon étalon. Tous mes élèves connaissaient sa réputation. C’était avec lui que je partais en balade, alors ils avaient déjà rencontré la bête. Il était loin d’être le cheval rêvé …
- Riley ? Elle demanda, me sortant de mes pensées.
- Oui ?
- Merci. De ne pas abandonner.
J’avais haussé les épaules. Il me faisait penser à Alpha au fond, raison pour laquelle je ne souhaitais d’ailleurs pas l’acheter. Je ne pourrais jamais adopter une seconde version de ma jument de concours.
- Ne suis-je pas toujours dévouée à mes élèves ? Je demandais en souriant.
- Bien sûr mais rien ne t’obligeait à faire ça pour moi…
Elle baissa la tête, caressant distraitement l’épaule de l’Alezan.
- Et moi, je ne voyais aucune raison de ne pas le faire. Je lui dis avec un sourire. »

Elle avait finalement souri, elle aussi, et nous avions ensuite ramené Optimus à sa stabulation. Il était clair qu’elle se sentait mal de devoir le ramener ici. Quant à l’étalon, il semblait résolu à ce que personne ne veuille plus de lui, alors qu’il faisait des efforts. C’était une vision horrible à laquelle assister.

« -Un jour tu repartiras avec. C’est promis. » J’avais promis à Angela, tandis qu’elle déposait un baiser sur le museau de l’alezan. Et je ferai tout le nécessaire pour ça. Quoi qu’il m’en coûte.

Après les cours d'équitation, que ce soit seule ou avec Angela, j'essayais d'aller rendre visite régulièrement à Optimus Prime. Bien sûr, c'était parfois compliqué, car je ne savais trop comment ça allait se passer à chaque fois. Parfois il était de bonne humeur et il était adorable. D'autres fois, il était mal luné et là c'était quasi impossible de le faire travailler. En revanche, j'avais bien remarqué une chose : Cela se passait beaucoup mieux quand mon élève était là. Le seul hic, c'était que cela faisait plusieurs jours qu'elle avait chopé la grippe, et donc ses parents tenaient qu'elle reste bien au chaud chez elle. Il faut dire qu'ils avaient raison, ce n'est l'affaire que de quelques jours mais mieux vaut éviter de contaminer d'autres personnes, qui pourraient subir des conséquences bien pires. De mon côté, je ne pouvais cependant éviter cette visite à Optimus, car il avait besoin de se changer les idées, je le savais, et le voyais bien, à chaque fois que je passais au refuge je demandais de ses nouvelles. Apparemment, ces derniers temps il avait une mine rabougrie la plupart du temps, et les bénévoles se demandaient même s'il n'avait pas perdu du poids. Pourtant, le vétérinaire était passé, aucun souci à ce niveau-là. Aucun soucis non plus du côté du dentiste ou du maréchal. Et même l'ostéopathe n'avait rien trouvé. Je me fichais du prix des factures. Lorsque je m'étais portée volontaire pour être la Famille d'Accueil d'Optimus, je m'étais jurée de ne pas le laisser tomber tant que nous n'aurions pas réussi à le remettre complètement sur pied. Hors de question donc, d'abandonner, quel qu'en soit le coût...

"Miranda ! Comment va-t-il aujourd'hui ?" J'avais demandé à une des bénévoles du refuge, en arrivant ce soir là. Elle savait que je venais pour Optimus, puisque je venais très régulièrement, même si ça n'était parfois que pour prendre des nouvelles. J'avais le sentiment qu'il avait besoin de moi, et qu'il était de mon devoir de l'aider. Alors je refusais de le laisser périr, purement et simplement. Cependant, une fois de plus, la réponse ne fut pas des plus encourageante ...

"Il n'a mangé que ses granulés aujourd'hui, mais il n'a pas daigné se lever de la journée... Je pense qu'il va être bien raide..." Elle avait eu une mine désolée, comme si elle se sentait responsable de la situation, alors j'avais froncé les sourcils, et avais posé une main rassurante sur son épaule, avant de lui dire:
"Je vais prendre le relais, d'accord ? On va sortir un peu, et on va essayer de lui redonner goût à la vie. Avec ce soleil, ce serait dommage de déprimer tu ne crois pas ?" Elle avait hoché la tête, acquiescant et m'avait remercié, la gorge serrée. De mon côté, je m'étais empressée d'aller chercher mon sac de pansage, avant de me diriger vers le box d'Optimus.

A prime abord, il n'avait pas maigris tant que ça, c'était une certitude. En revanche, il n'avait aucun éclat dans les yeux, comme s'il avait renoncé, et qu'il ne voulait plus avancer.

"Opty ..." J'avais murmuré, à demi-voix, et il avait lentement relevé la tête, sans plus. "Qu'est-ce que tu nous fait là mon grand ..." De ce que je savais de lui, il était très proche de son ancienne propriétaire, qui avait hélas finie paralysée suite à l'accident qui les avait tous les deux traumatisés. Le hic, c'était que je n'avais aucun moyen de la contacter. Sans compter que je ne savais même pas quelle serait sa réaction, ni si elle accepterait de venir le voir. Et combien même elle accepterait, qui me garantissait qu'une visite pareille ferait du bien à l'alezan ?

"Tu veux bien que je m'occupe de toi mon grand ?" Aucune réaction de sa part. Le contraire aurait été étonnant. "Tu sais, je suis plutôt coriace dans mon genre. Donc si tu n'exprimes pas clairement ton désaccord, je préférerai croire que tu es d'accord." J'avais souri tristement, mais face à cette absence de réaction, dur de garder le moral. Pourtant il le fallait. Alors, j'avais commencé par prendre mon licol, et une friandise à la framboise, ses préférées. "Et ça, ça t'intéresse? " Il la croqua, dans un premier temps, mais en laissa tomber la moitié, sans même s'y intéresser. Il y avait plus encourageant comme réaction, il faut bien l'avouer. "Aller mon grand, sortons."

Une fois dehors, je l'avais emmené dans un pré vide, afin de lui permettre de pouvoir brouter tranquillement. J'avais commencé par l'y lâcher, donc, mais il n'avait pas bougé de là où je l'avais détaché. Alors, j'avais décidé de me montrer patiente. J'avais refermé la barrière derrière nous, puis je m'étais assise par terre. Je ne lui avais d'abord pas prêté attention, afin qu'il ne se concentre pas sur moi, mais plutôt sur lui. J'en avais profité pour envoyer un message à mon manager, histoire de lui demander s'il avait un petit combat pour moi pour ce soir. En effet, aucune envie de me morfondre dans une humeur si triste. J'avais besoin de distraction, et comme je ne savais pas à quelle heure terminerait Aaron ...

"Tu veux bien me dire ce qui se passe dans ta petite tête triste ?" J'avais demandé à Optimus, qui avait daigné faire demi tour pour venir vers moi. J'avais levé la main vers sa jolie tête, et il avait fermé doucement les yeux à mon contact. "Je t'ai déjà expliqué, non ?" Ma voix s'était serrée à la pensée d'Alpha. C'était comme si je ne m'étais jamais remise de son décès. "Je ne peux pas t'adopter ... Angela t'aime beaucoup trop, et puis tu sais, je suis très occupée, et je ne suis pas sûre que Wild accepterait de me partager..." Ce n'était que des excuses de pacotille, c'était certain. "La vérité Opty, c'est que j'ai déjà eu une jument, de la même race que toi, la même couleur..." La mâchoire serrée, j'avais hésité à continuer sur cette lancée, mais à présent, Optimus m'avait accordé toute son attention, et je savais donc que je devais l'encourager, à continuer à s'ouvrir de nouveau au monde extérieur, même si cela me faisait souffrir moi ... "Elle s'appelait Alpha. Elle était merveilleuse, et m'a emmenée sur les plus hautes marches de tous les podiums que nous affrontions elle et moi, main dans la main ... Je n'aurais jamais pu vivre sans elle, elle était ma raison d'être, j'étais la sienne, comme deux faces d'une même pièce." Une larme avait roulé sur ma joue, et à cet instant, Optimus avait donné un très léger coup de museau dans ma main. J'avais souris, tristement, face à ce geste, avant de terminer mon récit : "Et puis un jour, elle m'a quitté. Une collique froudoyante, elle ne s'en est pas tirée, comme tu peux l'imaginer, et à partir de là, j'ai mal tourné..." J'avais baissé la tête, honteuse...

Finalement, quand j'avais daigné relever le regard, c'était parce que j'avais entendu un soufflement bruyant, et c'est ainsi que j'avais pu découvrir qu'Optimus m'offrait une très jolie révérence, clairement une manière de faire l'intéressant si vous voulez mon avis, mais ça avait très bien fonctionné il faut dire ! "Ben alors gros doudou, qu'est-ce que tu nous fais là ?" Je lui avais demandé, en me relevant. Il m'avait imité, et s'étiat de nouveau rapproché de moi. Je savais que je ne pouvais pas craquer, sans compter que je ne savais pas si Wildfire était ok avec les autres étalons. Et hors de question de faire l'acquisition d'un autre équidé s'il ne pouvait vivre avec mon entier... "N'aurais-tu pas envie de travailler un peu toi ?" Je lui avais proposé, en avançant ma main vers son encolure.

J'avais décidé de commencer par quelque chose de très simple. Céder à la pression. Ainsi, face à sa cuisse, je l'avais poussé, d'abord doucement, puis un peu plus fort, moment auquel il se décala. Immédiatement donc, la pression cessa. Je l'avais félicité, puis j'avais fait la même chose face à son épaule, et même s'il avait encore mis deux petites secondes, il s'était de nouveau décalé. Je l'avais donc chaudement félicité, et puis j'avais redemandé la même chose, une fois, puis une deuxième, pour qu'il l'assimile bien. Intelligent comme il était, il avait bien vite compris ma demande. "C'est très bien ça Opty. Et de l'autre côté, ça dit quoi ?" Je ne m'inquiétais pas trop, il avait vu l'ostéopathe récemment, donc a priori je ne trouverai rien d'anormal. Et en effet, de l'autre côté non plus pas de problème particulier, ce qui lui permit d'acquérir bien rapidement cet exercice. Il faut quand même rappeler qu'Optimus avait un très grand coeur, et donc une telle coopération de sa part ne me surprenait pas le point. "C'est super mon grand." Je lui avais murmuré, avant de revenir devant lui. Interrogateur, il avait plongé son regard dans le mien, et c'était comme s'il arrivait à lire en moi. En tout cas, c'était très spécial comme sensation, et je mets quiconque au défi de dire que les animaux n'ont pas d'âme.

Alors, après cet instant qui avait duré quelques secondes, j'avais fait un pas vers lui, et l'avais finalement serré tout contre moi, avant de souffler : "Laisses toi aller mon beau, souffles, respires..." C'était quelque chose que ma mère faisait beaucoup lorsque j'étais plus jeune. Chaque fois que j'étais très énervée, ou que j'avais gardé trop d'émotion négative en moi, elle me serrait très fort contre elle, et me laissait décharger tout ce ressentiment contre elle, en elle. Comme si elle prenait toute ma tristesse pour m'en débarrasser. Et l'espace d'un instant, j'avais l'impression que ça avait marché avec Optimus. Je l'avais senti se détendre, se recentrer sur lui, et laisser peser tout son poids sur moi. C'était un instant ressourçant, tout en étant très intense. "C'est bien mon grand..." J'avais murmuré, ma main caressant doucement son encolure, son épaule.

Finalement, il avait fait un pas en arrière, et je l'avais laissé reculer. Il s'était ensuite ébroué, et avait gratté le sol de son antérieur. Un sourire en coin sur les lèvres, je m'étais écartée de son chemin, allant m'asseoir sur la barrière en bois. C'est là qu'il se libéra enfin. Il se mit à faire des tours dans le pré, se défoulant complètement, lançant des coups de cul en l'air, bref, il avait enfin réussi à extérioriser tout ce qu'il ressentait, et on voyait que tout à coup il se sentait plus léger. Il s'était même roulé à un instant ! Et lorsqu'il s'était relevé, la crinière toute emmêlée, mais le regard vif et joueur, je n'avais pu m'empêcher de rire à mon tour: "Non mais regardes dans quel état tu t'es mis ! Qu'est-ce que vont dire toutes les belles juments du refuge maintenant que leur Dom Juan se met dans des états pareils..." Immédiatement, il m'avait rejoint au grand trot, et avait fait mine de me donner un petit coup de museau dans mon genou. Un effleurement en réalité, je n'avais quasiment rien senti. "Je te promets Optimus, que nous prendrons bien soin de toi, d'accord ? Je te promets que tu ne seras jamais vraiment seul, et que même si je ne suis pas tout près, ta bonne étoile veillera toujours sur toi, tu me crois, n'est-ce pas ?" J'avais pris sa grosse tête vers moi, et avais déposé un léger bisou sur son front. Je n'avais aucune envie que cette soirée ne se termine, mais il me fallait à présent rendre visite à Wildfire, je n'avais donc pas tellement le choix ... "Je vais trouver une solution. D'accord ?" J'avais finalement demandé, sur un murmure, avant de descendre de là. La vérité, c'est que je n'avais pas encore de véritable solution à lui proposer, mais je refusais de le trahir à nouveau. Hors de question qu'il se remette à déprimer ...