PH - Nomade

A Beyond the Dreams, Nina avait Kevin. Et moi, eh bien j’avais eu la chance de pouvoir compter Valentin parmi mes premiers associés. C’était quelqu’un de dévoué à sa cause, et tandis que j’avais été chargée d’accueillir les chevaux de club, il avait aidé les bénévoles à sortir les chevaux du refuge des vans de transports. Tout s’était bien passé m’avait-il dit. Il faut dire que je n’avais pas trop de doute quant au bon déroulement des choses avec lui, et c’était le sourire aux lèvres que j’allais entraîner Maelström pour une séance de dressage. Cependant, alors que je marchais en direction de mon écurie, en passant justement vers le refuge, j’entendis hennir au loin. Ni une ni deux, je n’avais pas perdu de temps et j’étais directement allée voir ce qui se passait, craignant le pire. Rien du côté des paddocks, et quant aux abris couverts, ils avaient l’air vide.

C’est à ce moment que je vis le petit chanteur du jour. Un Paint (comme on se retrouve !) gris, aux yeux bleu. Magnifique soit dit en passant, mais je pouvais voir dans son regard qu’il était en panique totale. Je le rejoignis dans la foulée et découvris une inscription sur la porte de sa stabulation : « SOURD ». Je compris bien vite ce qui devait se passer, et clairement je ne pouvais le laisser dans cet état. Je ne pouvais être sûre qu’il n’était pas dangereux, mais de toute évidence dans son état même le plus adorable des chevaux aurait pu se montrer imprévisible, alors qu’avais-je bien à perdre ? J’entrouvris la porte de sa stabulation, et m’approchais lentement de lui, très progressivement. Il avait le regard tellement perdu … Il faisait de la peine à voir, et je me mordis la lèvre, les sourcils froncés. Il m’était impossible de le laisser seul, livré à lui-même. Malgré cela, je ne pouvais pas non plus le mêler à n’importe qui des autres équidés du refuge. Comment savoir lequel n’essaierait pas de le tuer ?

Je levais doucement ma main à ses naseaux, mais il n’envoyait aucune onde négative. De toute évidence s’il avait eu peur de moi il aurait déjà reculé, et s’il avait souhaité me faire partir il en aurait déjà eu l’occasion également. Alors, quand il déposa ses lèvres contre ma paume, je fis un nouveau pas en avant, et caressai son encolure de ma seconde main. Je tentais de l’apaiser du mieux qu’il pouvait, et c’était loin d’être une chose aisée. Heureusement, lorsqu’on grandit dans un ranch on apprend certaines choses, y compris comment détendre un cheval lorsque celui-ci se laisse faire. Alors, je commençais par décrire de petits cercles en haut de ses crins, du bout des doigts, d’abord avec des pressions très légères, puis je descendais mes mains du haut de sa crinière en direction de son garrot. Ce faisant, je m’approchais encore un peu de lui et finalement, il se retrouva dans mes bras, tandis que je continuais mon massage. Je ne le regardais guère, me concentrant sur ses frissons qui diminuaient de plus en plus, à mesure que son pouls ralentissait tranquillement, signe que mes caresses faisaient leur effet. Au final, je sentis même le poids de son corps passer vers l’avant, pour s’appuyer contre moi. Je le laissais faire, bien entendu, et continuais par effleurer tout son corps, vérifiant au passage qu’il ne s’était fait aucune blessure pendant son moment de panique qui avait duré, après tout, une durée indéterminée. Je sentais qu’il était inquiet, et qu’il n’aimait pas cet endroit. C’est pourquoi, une fois le massage terminé, je pris le licol que j’amenais toujours avec moi, puis je le lui passai, avant de le faire sortir de sa stabulation.

Il était loin de se montrer réticent, ou peureux. Mais il était sur les nerfs, et c’était plutôt normal vu son état. Alors, je lui laissais un peu de marge sur la longe, afin qu’il puisse tourner la tête à droite ou à gauche en fonction de ses envies. Je voulais qu’il sente que j’aille à son rythme et en parallèle, je tendais l’oreille pour être sûre qu’il ne se laisse pas surprendre. Au fur et à mesure de notre promenade, j’eus conscience de devenir peu à peu son référent, puisque chaque fois que mon regard s’attardait sur un détail au loin, il regardait dans la même direction, afin de relever les informations à son tour. Je n’avais aucune difficulté à m’imaginer être ses oreilles sur un chemin de balade, mais ceci serait pour un autre jour. Pour le moment, je voulais qu’il retrouve un minimum de joie de vivre, qu’il s’amuse avec un équidé qui lui ressemblait, et une fois arrivés à mon écurie, je le lâchai dans un paddock vide, avant de lui ramener une compagne de jeu.

Pour ce faire, et vous vous en doutez peut être, j’avais hésité entre Emprise et sa fille Grace. Cependant, vu l’état de l’étalon qui était à présent dan l’un de mes paddocks, je préférais ramener la sagesse incarnée à savoir, la douce Emprise. Si une jument était capable de réhabiliter un cheval, c’était elle. C’était une médiatrice à part entière, et très forte en communication qui plus est !

Alors, une fois arrivées au paddock de Nomade, j’avais fait rentrer Emprise, tandis que le beau gris nous toisait du regard. J’étais restée derrière la barrière après avoir laissé filer ma princesse, et je les observais attentivement, prête à agir en cas de besoin. Comme à son habitude, Emprise faisait preuve de douceur, de patience, et de délicatesse. C’était une excellente mère, et ses années de sagesse lui permettaient de traiter Nomade avec respect et de lui offrir une attention toute particulière. J’avais presque l’impression qu’elle comprenait qu’il n’était pas comme les autres en tout cas, de son côté l’étalon semblait plus que ravi qu’une jument s’intéresse à elle, ce qui me faisait bien rire. Pauvre étalon de son état, qui ne savait pas encore qu’Emprise n’était pas une jument facile ! Il lui fallait du temps avant de s’habituer à un mâle ! Cela dit, ceci soulevait une question intéressante : Avec un autre étalon, Nomade se serait-il montré dominant, ou plutôt soumis ?

J’étais finalement allée les rejoindre dans le paddock, et immédiatement Emprise s’était désintéressée du gris pour me rejoindre. Cela m’affait sourire, et je l’avais accueillie à bras ouvert. Elle était réellement la meilleure jument du monde, y’a pas à dire ! De son côté,  Nomade nous avait regardé, sans vraiment avoir l’air de comprendre ce lien qui nous unissait, et je saisis à cet instant qu’il n’avait certainement pas dû avoir l’habitude d’avoir une famille aimante, qui prendrait soin de lui sur le long terme. Ici, nous prenons tous soin les uns des autres, et alors que je le regardais, je savais que ma décision était d’ores et déjà prise à son sujet.

Je savais que nous avions beaucoup à apprendre l’un de l’autre : Je parlais très souvent à mes chevaux, or avec lui ça ne servirait à rien ; et il allait enfin avoir la chance de découvrir ce qu’était l’amour. Je décidai de m’approcher de lui, et commençais par caresser son encolure, en lui faisant renifler ma main gauche. Comme tout à l’heure, je laissais mes mains glisser tranquillement le long de son corps, et je pus voir que même s’il n’était pas tranquille tout à l’heure, au moins il n’avait réellement aucune blessure ce qui était clairement un point positif. Je lui demandais son antérieur gauche, d’abord en poussant légèrement son épaule avec la mienne, puis en effectuant une légère pression sur ses tendons comme le pousser n’avait pas suffit. Un pied en très bon état, et je passais ensuite aux trois autres pieds. En arrivant au dernier, je n’eus presque rien à faire, monsieur étant le genre de cheval à visiblement comprendre très vite un exercice. Je ne pouvais pas m’empêcher de sourire. Je me sentais bien à ses côtés, et je savais qu’Emprise partageait cet avis. Il lui était déjà arrivé de me protéger d’un cheval hostile, hors elle était très tranquille concernant Nomade, je n’avais donc aucun doute sur le gris.

Une fois ce petit exercice effectué, j’avais essayé sur lui un des sept jeux de Pat Parelli, ayant toujours pensé que l’éthologie était un excellent exercice à faire pour une première séance. Ainsi, j’avais commencé par pousser légèrement sa cuisse gauche, et plus il restait immobile, plus je forçais, jusqu’à ce que finalement il daigne se décaler. Immédiatement, je relâchais la pression, et le laissais souffler un instant, avant de reprendre. Cette fois il céda un peu plus tôt, et lors du troisième essai j’eus à peine à pousser pour qu’il se décale du bon côté. Il comprenait très vite les demandes, sans même avoir besoin d’exiger quoi que ce soit avec la voix, et ce silence était vraiment très reposant. J’adorais travailler avec lui, et sa tête baissée dans ma direction me montrait qu’il était attentif à moi, ce qui me plaisait. Non seulement il ne faisait pas le zouave mais en plus il était concentré, que demande le peuple ?

Une fois le côté gauche acquis, j’étais donc passée à sa droite, où j’avais effectué la même demande. Il n’avait aucun mal à effectuer les pivots, que ce soit sur ses antérieurs, ou ses postérieurs, et je me régalais d’observer sa locomotion, tandis qu’Emprise était tranquillement en train de brouter à côté. Une fois les déplacements latéraux acquis, j’avais souhaité passer sur le recul, ce qui pouvait parfois poser plus de problème. J’étais donc partie sur un départ tout  en douceur, une légère pression des doigts sur son poitrail, mais comme c’était prévisible il ne cilla pas. Je continuais donc d’accentuer la pression, jusqu’à ce petit mouvement en arrière qui marqua la fin de la pression sur son poitrail. Je le laissais se détendre un instant, puis repris ma demande, exigeant cette fois un pas en arrière. Il avait encore un peu de mal à coordonner tous ses mouvements, et je me demandais encore quel genre d’abruti avait bien pu le débourrer sans commencer par ces bases pourtant primordiales…

Pour la dernière demande du recul, je ne m’étais pas contentée d’un pas en arrière puisque j’avais d’abord posé ma main sur son poitrail, avant d’effectuer une infime pression, et de suivre son mouvement quand il avait reculé, sans décoller ma main donc, ce qui l’avait forcé à reculer de trois pas, pas de manière très droite, c’est certain, mais au moins il avait reculé comme je le lui avais demandé et ça, c’était vraiment top ! C’est d’ailleurs sur cette excellente note que j’avais décidé de m’arrêter afin de ne pas lui en demander de trop. Lorsque nous sortions, je fis signe à Emprise de nous suivre, et elle trotta jusqu’à nous, rejoignant son box sans trop faire d’histoire, comme la jument parfaite qu’elle était.

Je raccompagnais ensuite Nomade à sa stabulation, et je le sentis s’agiter tandis que nous retournions au refuge. Quelque chose me disait qu’il n’aimait pas cet endroit et ce, même si ça ne faisait qu’une ou deux journées qu’il y était. Je n’aimais pas le voir triste, il méritait d’être aussi heureux qu’il aurait pu l’être avec ses soucis de santé, et quand je lui retirais son licol, je vis son regard s’éteindre, comme s’il pensait que j’allais l’abandonner… Au lieu de ça, je caressais tendrement son front, et il ferma les yeux, apaisé par ce doux contact. Je n’avais pas envie de partir. Pas envie de le laisser seul, en proie à de nouvelles crises de panique, mais je n’avais pas le choix, et je savais parfaitement que ma prochaine visite ne tarderait pas, bien au contraire. Malgré cela, c’était le cœur serré que je lui curais les pieds, profitant d’avoir travaillé cet exercice pour les lui faire rapidement, et je ne m’autorisais pas à me retourner avant de craquer pour son doux regard. Je ne pouvais cependant me résoudre à le laisser ainsi, et je finis par lui tendre une pomme, qu’il croqua délicatement, presque timidement. C’est fou comme certains chevaux peuvent nous prendre aux tripes sans qu’on ne s’y attende… Je n’arrivais pas à me résoudre à le quitter … Nous échangions des regards sans mots, silencieux, et presque cérémonieux. J’aimerais lui faire tellement de promesses… J’aimerais tant être capable de lui payer n’importe quelle opération lui permettant d’entendre les bruits du monde dans lequel il vivait… Le chant des oiseaux, le hennissement de joie d’Emprise à son arrivée … Au lieu de ça, je m’efforcerai de le rendre aussi heureux que possible. J’espérais juste qu’il le savait, malgré mon départ.

« Et voilà madame Layne. Il est à vous. » La secrétaire me dit, en m’offrant l’acte de propriété de Nomade. Je pu ainsi découvrir qu’il venait d’un élevage assez réputé en Angleterre, élevage avec lequel j’étais d’ailleurs en contact puisque certains de leurs étalons m’intéressaient pour de futures saillies. Mais pour l’heure, j’avais hâte de retrouver mon gris et rien que d’y penser me mettait en joie. Les autres étaient prêts à l’accueillir, je le savais, puisqu’ils avaient passé la journée au pré. Ils avaient grand besoin de divertissement et ça faisait un bout de temps que je ne leur avais pas présenté de nouvel équidé, alors Nomade serait parfait dans le rôle du divertissement ! Je souris d’ailleurs à cette pensée, tandis que j’arrivais aux stabulations. Je ne pouvais m’empêcher de sourire comme une gamine. Cela me rappelait l’époque où je commençais avec Emprise. Elle était dans un état … J’ai parfois l’impression que c’était il y a des siècles !

Arrivée devant lui, je manquais de le saluer gaiement comme je leur avais fait avec les autres, avant de me ressaisir. Cela n’aurait clairement servis à rien. De plus, il m’avait repérée de loin, moi et ma bonne humeur contagieuse. Aujourd’hui était une chouette journée, je le savais, et lui aussi le saurait bientôt ! J’ouvris la porte de sa stabulation, et il sembla me reconnaître puisqu’il s’approcha directement, bien moins hésitant qu’hier. Il était plus calme, et cela me faisait du bien de le savoir. Peut être que ma visite avait eu un effet bénéfique sur lui, si c’était le cas, qu’est-ce que serait son déménagement ? J’avais donc commencé par lui permettre de humer mes mains, et il remarqua les papiers dans ma main gauche. S’il avait su ce que ça voulait dire… Mais il le saurait bien assez tôt ! Pour l’heure, je me devais de le faire beau pour son arrivée à l’élevage « Of Sunbeam »

Je commençais donc par lui procurer un bon vieux pansage, coup d’étrille américaine, bouchon, puis brosse douce. Je n’étais pas certaine, mais vu le regard impatient qu’il me lançait quelque chose me disait qu’il savait ce que ça voulait dire : On va bientôt sortir, on va aller en balade ! Cela me fit sourire. On aurait dit que malgré ses cinq années d’expérience de la vie, il avait encore parfois très facilement le comportement d’un poulain. De mon côté, je ne pouvais m’empêcher de caresser sa robe tachetée. J’aimais tant sa couleur, il faut dire que je ne savais clairement pas résister aux Paints, comme je suis faible … Cela étant dit, ça ne m’empêchait pas de faire les choses correctement puisque je ne sortis avec lui qu’une fois ses sabots finis.

Alors, je tentai une expérience que certains auraient pu juger dangereuse. De mon côté, j’avais surtout très envie de tester ses limites, et l’ampleur de la confiance qu’il laissait reposer sur moi. Alors, je lui passai une fine cordelette autour de l’encolure, et je l’enjoignis à marcher en faisant un pas en avant. Heureusement, il me suivit assez naturellement, et lorsqu’il décida de sortir avec moi de son box, je souris. Peut être cette idée n’était elle pas si folle que ça. Je commençais donc par vérifier les changements de direction, en veillant à ce qu’il soit attentif. L’avantage à l’heure qu’il était, c’est que peu de mondes étaient présents dans les alentours, la plupart étant autour de leur table, à manger un bon repas. Alors, je commençais par aller à gauche. Son regard était porté sur moi, et je veillais à rester le plus proche possible de son encolure, pour qu’il puisse avoir un bon ressenti de mon énergie physique. Volontairement j’exagérais mes mouvements, en tournant largement à gauche, puis à droite. Le truc c’était qu’il devait se reposer principalement sur la vue, alors je me devais de lui montrer correctement les choses. Toujours dans l’écurie, je testais ensuite l’arrêt : Je m’immobilisai, et plaçai mon bras devant son poitrail pour qu’il ne puisse pas me dépasser. Il ne chercha pas à forcer, et je le félicitais d’une généreuse caresse sur l’encolure, avant de tenter un reculer, ce qui lui avait posé un peu plus de problèmes hier. Pour l’aider, je commençais par me placer légèrement avant lui, avant de faire un pas vers l’arrière. Parallèle à son épaule, il ne bougea pourtant pas, et je plaçai donc alors mon bras à l’horizontal devant son poitrail, afin de le forcer à reculer. Cela fait, je cessais de suite toute pression, et m’arrêtais de reculer. Je repartis en avant, et il suivit, ce pour quoi il gagna une nouvelle tendre caresse. Puis, je travaillais le tourner droite, où je dus marcher un peu plus vite que lui comme je me tenais sur l’extérieur de la courbe. C’était un exercice bien plus éprouvant qu’on aurait pu l’imaginer, mais il me semble ne pas exagérer en avançant que nous nous en sommes très bien sortis. Surtout lui en réalité, pour moi c’était presque une seconde langue que de parler éthologie. Après tout, Emprise, Roquépine et ses descendants m’y avaient bien largement habituée. Mais je dois bien avouer que Nomade me surprenait à chaque instant. En effet, le nouveau reculé que je venais de lui demander avait été parfaitement bien exécuté, et je m’étais bien rendue compte que ce cheval apprenait à la vitesse de l’éclair, dès lors qu’on lui offrait sa chance !

A présent, le plus dur restait à venir. Si réaliser cet exercice ne posait pas le moindre problème en intérieur, dans un espace calme et confiné, où aucune distraction ne pouvait le gêner, il était à présent question d’affronter le monde réel, et je savais que Nomade pouvait se sentir surpris par des bruits qu’il n’aurait pas senti venir. Alors, pour parer à ce danger, je me tenais encore plus près que précédemment, et je tenais légèrement la cordelette, au cas où. Je pouvais presque le sentir avoir envie de se cacher derrière moi, mais il n’était pas question de lui apprendre à se défiler. Je ne l’avais donc pas regardé, et m’étais grandie pour lui montrer que j’étais un repère fiable. Comme hier j’avais regardé à droite et à gauche lorsque cela était nécessaire, et en cas de besoin je lui avais montré des véhicules passant au loin. Lorsque nous avions croisé un vélo, je l’avais fait s’arrêter, sans avoir besoin de placer mon bras devant son poitrail (bien joué Nomade !) et il avait regardé passer le cycliste non sans inquiétude, mais sans sursauter avec outrance. Nous étions donc repartis, et cette fois je ne tenais plus la cordelette, étant sur mes gardes cependant, au cas où quelque chose l’effraierait. Il se montrait pourtant courageux. Lorsque je regardais droit devant moi il marchait d’un pas lent mais stable, lorsque je lui montrais quelque chose il le regardait pour assimiler l’information, lorsque je m’arrêtais il ne tardait pas à m’imiter, et c’est ainsi que chemin faisant, nous arrivions à mon écurie. Impossible de savoir s’il reconnaissait les lieux, ni s’il se souvenait de la visite d’hier, mais la barrière passée il avait directement relevé l’encolure, intéressé par les odeurs qui régnaient ici.

Je ne savais pas comment il se comportait avec les autres étalons, mais ça promettait d’être intéressant. Halian, lui, était tellement facile à vivre que j’avais du mal à l’imaginer être un jour un étalon. J’envisageais de plus en plus de le castrer, mais c’était une décision que je ne devais pas prendre à la légère, alors je prenais mon temps. Pour l’heure, ma plus grande préoccupation était plutôt d’intégrer Nomade à l’un des deux groupes, et je m’étais directement tourné vers celui composé de Maelström, Emprise, et Halian. Il me semble, et même si je ne pouvais l’affirmer avec certitude j’en étais presque convaincue, qu’Emprise reconnu directement son acolyte de la veille, ce qui me fit sourire. J’avais d’abord approché de la barrière, et Maelström avait directement accouru, en me lançant un regard noir. Lui qui n’aimait pas se savoir non privilégié, il était servis là ! Mais qu’importe s’il n’était pas content, je n’étais pas aussi exclusive qu’il aimait l’être !

Dès qu’il comprit que Nomade était lui aussi un étalon, il fit le fier, redressa l’encolure, et tenta de le dominer de par sa hauteur. Le gris, lui, évita son regard, et baissa même la tête, montrant qu’il n’était pas là pour chercher la guerre. Il montrait ainsi que ça ne lui posait pas de problème que Maelström soit le chef, et ce fut ainsi l’indice qui me permit de savoir que je pouvais le lâcher dans leur enclos. Immédiatement, Halian le rejoignit pour aller s’amuser avec, trottant autour la queue en panache. Il était adorable ce bébé, et quand Mae’ comprit qu’il n’était pas une menace, il retourna brouter dans son coin, boudeur (une habitude chez lui !) Emprise, elle, alla saluer son compagnon de route de manière beaucoup plus douce, mais semblait malgré tout heureuse de le retrouver. D’ailleurs pendant un instant elle en oublia presque de me saluer, une première chez elle ! Finalement, elle accourut jusque dans mes bras, comme seule elle savait le faire, et elle finit même par se rouler par terre, ce qui me fit bien rire. Je m’agenouillais à ses côtés, et lui fit des papouilles, dans un moment de complicité que rien n’aurait pu entacher. Enfin, rien.

Sauf un Maelström qui décide de jouer à Monsieur Tête de Cochon.

Halian et Nomade étaient visiblement passés trop près de lui en jouant, puisqu’il venait de claquer des dents en direction du gris, lui montrant presque à quel point il n’aimait pas les intrus. Je m’étais immédiatement relevée, et alors que Nomade n’avait rien entendu (puisque Mae ne l’avait pas atteint), j’étais allée lui régler son compte. « Alors écoutes moi bien Maelström. Je sais que t’es un P’tit con, et que tu préférerais avoir l’exclusivité. Je sais que t’aimes ta tranquillité. Je  sais que tu as un sale caractère. Mais il va falloir que tu te calmes, et tout de suite, parce que sinon on va pas être copains bien longtemps ! » Les oreilles plaquées en arrière, les naseaux fumants, j’étais trop plongée dans ma réprimande pour remarquer deux paires d’oreilles de chaque côté de mes épaules. Emprise, à ma droite, prête à me défendre en cas de besoin si Maelström décidait de vraiment tenter quelque chose, et Nomade, à ma gauche, en train de probablement se demander pourquoi Mae faisait-il une telle tête. Le pauvre n’avait rien compris à la scène, et il me faisait de la peine, mais il valait mieux qu’il n’ait pas peur de l’autre abruti de Mae.

Après cette brève dispute, j’avais décidé qu’il était temps pour mon gris de rencontrer l’autre pré, composé de Quinn, Light, et Grace. Là, c’était de la sœur de Halian que je me méfiais. Tout comme sa mère elle aimait avoir l’exclusivité, et elle n’hésitait pas à le montrer. Cependant, les trois avaient assisté à la scène, et j’osais espérer qu’elle ne ferait pas la fière devant Nomade bien longtemps …

Comme précédemment, je leur avais d’abord permis de se renifler, séparés par la barrière. Il arrivait que Quinn lance des regards mauvais à Nomade, au début. Petit à petit, son comportement avait changé. Elle  avait commencé à battre l’air de la queue, et s’était lentement reculée, avant de laisser la place à Grace qui, tout comme Halian, avait juste envie de jouer. Je sentais que Light était moins effronté que Mae, il se faisait plus discret et semblait plus observateur, presque plus sage. C’était plus étonnant de voir cela, alors qu’il était bien plus jeune, mais j’avais déjà eu l’occasion de remarquer que l’équitation Western donnait des chevaux mieux dans leur tête. Théorie à prouver !

J’étais finalement entrée dans le pré, et j’y avais lâché Nomade. Là, il avait eu l’air plus à sa place. Malgré Quinn qui le regardait parfois de manière curieuse, il était plus calme, et moins excité qu’avec Halian. J’étais finalement allée voir la fille de Solstice, et je lui avais caressé l’encolure : « Tu sais ma puce, il faut parfois que je prenne le relais sur certaines personnes, qui ont déjà travaillé avec certains chevaux. Tu vois Nomade, il n’est pas tout à fait comme vous, mais je suis sûre que tu l’as déjà remarqué. Je me trompe ? » Elle le regardait en effet de manière plus attentive qu’à l’accoutumée, et elle finit même par l’approcher, en le reniflant très délicatement. Il lui rendit la pareille, et je les regardais faire, plutôt les surveillais. Ce faisant, j’étais également allée papouiller Light (faut bien qu’il en ait de temps à autres aussi !) et j’avais alors pu voir Quinn et Nomade s’échanger une séance de papouillage improvisée. Eh bien, en voilà qui n’ont pas perdu de temps !

Je souris, et les laissais à leur gratouilles, avant de commencer à rentrer mes autres chevaux avant la nuit tombée. Pour chacun, je surveillais leurs pieds avant de les laisser, une habitude chez moi. Maelström avait encore décidé de bouder, alors je lui rendais la pareille, et quand finalement il ne restait que Quinn et Nomade, je les fis rentrer tous les deux en liberté, avec la méthode du Stick-To-Me.  Ils étaient très intéressants à regarder, et on aurait dit qu’ils se comprenaient parfaitement. Après avoir trouvé sa moitié bipède, Nomade aurait-il trouvé sa moitié équine ? Il faut dire que Quinn est un très bon parti … Je souris à cette pensée, avant de laisser la belle à son box.

Je finis donc par raccompagner Nomade à son nouveau chez lui, et je pu sentir qu’il n’était pas totalement rassuré. Il tournait sur lui-même, regardait dehors, les oreilles remuant dans tous les sens, il ronflait nerveusement, il était clair que ce box solitaire ne lui convenait pas. Alors, je pris une décision inédite, et que je n’aurais par le passé jamais tenté puisque je décidai de le mettre dans le box poulinière, deux fois plus grand que les autres, en compagnie de Quinn, qui était ravie de retrouver son âme sœur. Il avait déjà l’air bien plus calme, et après un nouveau massage et des pieds curés, il était enfin relaxé, prêt à démarrer une douce nuit de sommeil avec sa belle. Contrairement à hier soir son regard n’était pas mi fantomatique, mi désespéré. Ce soir quand je le laissai avec Quinn, son regard était doux, et tendre. Tout ce à quoi j’aspirais pour lui.

A peine étais-je arrivée à mon ranch, que j’avais compris que quelque chose n’allait pas. Dans les paddocks, Light avait henni en me voyant arrivée, et je m’étais précipitée pour le rejoindre, pensant d’abord qu’il s’était passé quelque chose avec Halian. Le fils de Solstice allait pourtant très bien, même s’il trottait en long et en large, faisant les cents pas dans son pré, en lançant des regards furieux dans le pré d’en face.

Le pré de Quinn.

Je me retournai, et vis qu’il était trop tard.

« Nomade ! » Bien évidemment. Comme si gueuler sur un cheval sourd allait servir à quelque chose… Je serrai la mâchoire et étais sur le point d’interpeller Quinn quand je vis que Nomade avait fini son affaire. « C’est une blague… » Habituée à ce que les filles ne posent pas de problème, et présumant que Nomade ne saurait pas se méfier de la clôture électrique, je l’avais éteinte. Résultat ? Il l’avait arrachée. Tout simplement. Putain...

« Sérieusement Nom’. » Je grognai, frustrée. Remarquant tout juste ma présence, le gris ronfla doucement, comme s’il était fier de son coup. « Tu mériterais qu’on mange du steak de Paint ce soir. » Je lui lançai un regard noir. Putain mais sérieusement…

« Et moi qui pensais pouvoir te faire confiance. » Je lui passai son licol, et le sortit immédiatement du pré de Quinn. Bien entendu le mal était fait, et il essaya même de résister, ce que j’ignorai totalement. Il en avait assez fait pour aujourd’hui. Je n’étais pas du genre à m’énerver sur mes chevaux, mais pour le coup, comment étais-je censée réagir ? Oh, chouette, un bébé ! Oh, chouette, papa est sourd ! C’est pas grave, plus on est de sourds plus on rit ! « Nomade… Tu vas pas me dire qu’il va falloir que je te castre pour qu’on soit tranquilles ? » Je détestais ne pas garder mes chevaux entiers. Je trouvais ça contre nature. Et je ne me voyais pas faire de lui simplement pour un accident. Mais ça n’était pas un simple accident. J’étais éleveuse de Paint Horse par passion, et aujourd’hui cela risquait de me jouer des tours. Il était hors de question que cette saillie réussisse, il ne me restait plus qu’à prier. Prier très fort. « J’espère pour toi que t’as raté ton coup. Sinon je te jure que tu vas entendre parler de moi. » Je fermai la porte de son box, un peu trop violemment à mon goût, et je laissais un soupir. Ce n’était pas à lui de payer le prix de mon erreur. J’aurais dû être beaucoup plus vigilante, surtout en ce moment … « Pardonnes moi… » Je lui dis, en lui tendant une pomme à croquer. Cependant, j’espérais toujours aussi fort que la saillie n’aurait pas pris …